La nouvelle stratégie de défense américaine, présentée par le Président Obama, début janvier, au Pentagon est plus qu’une nouvelle orientation qui déplace le curseur américain vers l’Asie et le Pacifique. C’est un changement de cap qui aura des conséquences géopolitiques profondes dans tous les pays, pour les décennies à venir. Il mérite d'être attentivement décrypté du point de vue européen.
À la lecture du Nouveau Guide Stratégique publié par le Pentagon; le 3 janvier 2012, il est clair que les défis posés par la puissance chinoise sont au cœur de la nouvelle stratégie de défense américaine: Les Etats-Unis réorganisent leur défense pour dissuader la Chine et projeter leur puissance dans la région.
Le tournant vers le Pacifique avait été annoncé depuis le voyage du Président Obama, mi-novembre, en Australie lorsque le Président américain avait déclaré: « The United states are here to stay » et qu'il avait notamment signé un nouvel accord de sécurité avec l'Australie . En projetant ainsi la puissance américaine dans la région, le Président veut notamment assurer la prospérité régionale sur les routes commerciales vitales qui traversent la mer de Chine où 5 mille milliards de dollars de marchandise transitent chaque année et rassurer des pays comme Taiwan, les Philippines, la Malaisie, le Vietnam et Brunei qui craignent la montée en puissance de leur voisin chinois notamment en haute mer où plusieurs incidents ont eu lieu cette année.
Parmi les changements dans les doctrines annoncés par le Pentagon, la capacité de mener deux guerre prolongées et simultanées – un des principes de la doctrine militaire Américaine depuis la fin de la deuxième guerre, - est désormais écartée. Les Etats Unis évoquent dans ce même document du Pentagon, la possibilité de solliciter leurs alliés – et de former des coalitions dans des opérations ponctuelles.
Autre évolution: « Les forces américaines ne seront plus de taille à mener de grandes opérations de stabilité prolongée » Par cette phrase du Nouveau Guide Stratégique, le Pentagon confirme que les Etats-Unis souhaitent désormais s’écarter des doctrines de contre-insurrection et contre-terrorisme qui ont caractérisé leur engagement des dix dernières années et qui n’ont pas eu les résultats escomptés: Les stratégies qui prônaient l’engagement prolongé au sol auprès des populations locales pour gagner les « cœurs et les esprits » n’ont pas porté leurs fruits que ce soit en Somalie, en Afghanistan ou en Irak.* C’est toute la doctrine de « COIN » (Counterinsurgency) qui est, de facto, mise en sourdine après dix ans d'enlisement dans de longs conflits. Le Pentagon annonce que des opérations à un fort impact tout en ayant une empreinte légère et conventionnelle seront désormais privilégiées. Dans ce but, les officiers américains se disent être prêt à encourager avec leurs alliés le partage des capacités et des interopérabilités pour des opérations de coalition.
Il est cependant clair que les Etats-Unis n’envisagent pas d’entrainer leurs partenaires de l’OTAN dans des aventures militaires en cas de conflit en Asie ; D’ailleurs, le traité de l’Alliance Atlantique ne le prévoit pas. En revanche, il existe une double attente implicite des Américains vis-à-vis de leurs Alliés : d’une part, celle d’une solidarité politique au cas où ils sont impliqués dans un conflit sur le front asiatique et d’autre part, une disponibilité européenne dans une coalition au cas où les Etats Unis, engagés dans le Pacifique, auraient aussi à intervenir militairement par exemple dans les Balkans ou en Méditerranée. Cette attente est probablement très certaine du côté américain, confirme Bruno Tertrais de la Fondation pour la Recherche Stratégique.
A cet égard, le succès de l’intervention franco-britannique en Libye, entre le 19 Mars et le 31 Octobre 2011, confortera les Américains dans leur nouvelle approche. Ceux-ci ont refusé de jouer un rôle prédominant, préférant exercer un «leadership from behind», tout en fournissant la logistique nécessaire. Cette opération limitée dans le temps, est la preuve que les Européens peuvent mener une action plus légère et efficace même avec une force limitée par rapport à leur grand allié
Dans le cadre d’importantes réductions budgétaires, imposées au Pentagon qui doit économiser 487 milliards de dollars dans les dix ans qui viennent, les Etats Unis ont annoncé leur intention de réduire les forces terrestres et les "marines" de 10 à 15%. Les efforts militaires porteront désormais sur les forces navales et aériennes qui se prêtent aux nouveaux défis du Pacifique.
Les Etats-Unis ont donc annoncé, début janvier, leur intention de réduire la présence des troupes américaines en Europe en ôtant notamment deux brigades de combat sur quatre, soit 7000 hommes et en les remplaçant par des forces de rotation. Vingt ans après la fin de la guerre froide, la présence américaine en Europe sert surtout de base intermédiaire de projection de force vers le Moyen Orient. Néanmoins, certains pays européens comme les pays Baltes, limitrophes de la Russie seront sans doute plus inquiets que d’autres devant l’annonce de ce retrait. Cependant, comme l’explique Bruno Tertrais , "ceux-ci n’ont pas nécessairement besoin de la présence de 81 000 militaires américains pour être rassurés". D’autant que dans le document du Pentagon, le fameux article 5, selon lequel une attaque armée contre un membre de l’Alliance constitue une attaque contre tous les membres, est maintenu. Le Président Obama, dans son discours du 6 janvier, a aussi réitéré son soutien à l'OTAN qu'il a décrit comme un "multiplicateur de force".
Cette annonce du retrait des troupes en Europe motivera-t-elle néanmoins les pays européens vers une dynamique de défense européenne indépendante crédible ? Les experts de défense sont sceptiques. Sur fond de grave crise économique, pour que les Européens commencent à se mobiliser sur une défense commune, il faudrait qu’une menace perceptible soit à l’horizon, qu’elle provienne de la Russie, de l’Iran ou bien du Moyen Orient ; ce qui n’est vraiment pas souhaitable, explique Bruno Tertrais. Ils ne changeraient que s’ils étaient particulièrement inquiets.
Or du côté de l’Europe occidentale, les Français comme les Britanniques avaient depuis longtemps intégré le retrait prévisible d’une partie des troupes américaines et promu assez mollement, l’idée d’une défense européenne; comme le montrent les accords de Lancaster signés en Novembre 2010 entre la France et la Grande Bretagne qui sont plutôt motivés par des impératifs budgétaires que par une réelle volonté de construire une défense européenne. D’autant qu’ils rapprochent les deux pays les plus puissants militairement d’Europe. La France et la Grande Bretagne investissent à elles-deux la moitié des budgets de défense des pays européens et les deux-tiers des dépenses de recherche et technologie.
Ce que l’on peut espérer, c’est que cette nouvelle orientation américaine vers le Pacifique, conduira aussi les Européens à réfléchir sur leurs propres intérêts stratégiques que ce soit pour la Méditerranée, en Afrique, au Moyen Orient ou même en Asie.
par
Brigitte Ades
|